Un article paru dans le journal des entreprises le 4 octobre 2013 à retrouver ici et en intégralité ci-après.
JDE Edition Loire-Atlantique – Vendée 44
Nantes. Un dirigeant de PME raconte son burn out
ajouté le 4 octobre 2013
Inébranlables les patrons ? L’imagerie populaire le voudrait, la réalité est tout autre. Ils ne sont en effet pas rares à craquer, comme ce dirigeant d’une PME nantaise d’une centaine de salariés qui nous raconte son burn out. Entretien sans tabou.
Vous dirigez une PME nantaise qui emploie une centaine de salariés. Vous acceptez de nous raconter votre burn out, mais de façon anonyme. Pourquoi ?
« J’ai fait le choix de ne pas parler de mon burn out à mon environnement professionnel. Les banquiers, les clients et même les collaborateurs de l’entreprise ne sont donc pas au courant.
Pourquoi ? Parce que les PME reposent énormément sur leur dirigeant. Si celui-ci ne va pas bien, on va automatiquement se poser des questions sur la santé de l’entreprise. Je n’ai pas peur que mon image soit affectée. Par contre, je n’ai pas envie que celle de l’entreprise le soit. Maintenant, j’ai aussi envie de parler de ce que j’ai vécu. Le burn out du dirigeant est un vrai sujet, aussi intéressant que tabou. Il existe mille études sur la santé de la baleine bleue, aucune sur celle du dirigeant. Et ce ne sont pas les baleines qui créent des emplois ! Par ailleurs, on m’a tellement aidé pour que je puisse m’en sortir, que je veux aider à mon tour ceux qui tombent actuellement. C’est pourquoi je témoigne beaucoup de cet épisode de ma vie dans des cercles privés et que j’essaie d’aider des entrepreneurs à se relever, comme d’autres l’ont fait pour moi.
Comment s’est manifesté votre burn out ?
« Je ne me suis pas rendu compte que le burn out arrivait. Puis, avec la déprime, on tombe très vite. Ma boîte marchait moins bien après des années de fortes croissances. J’ai dû licencier des salariés et cela a été très compliqué à gérer sur le plan émotionnel. À côté de cela, mon fils avait des pépins de santé. J’étais épuisé, déprimé et j’ai complètement changé de comportement.
C’est-à-dire ?
« J’étais moins jovial… Le week-end, je dormais tout le temps. Lever dix heures, j’avalais un café, puis je retournais me coucher. Et l’après-midi, sieste. Par contre la nuit, je ne dormais pas… J’étais stressé, je me faisais sans cesse des films. J’ai eu aussi plein d’effets secondaires sur mon corps. À cause du stress par exemple, je ne cessais pas de serrer la mâchoire. J’ai fini par m’en casser les dents !
Et pendant tout ce temps, comment dirigiez-vous l’entreprise ?
« Je suis tombé assez bas, mais je me levais quand même le matin pour aller travailler. Je suis venu tous les matins à l’entreprise, mais j’étais incapable de prendre une décision. Le moindre grain de sable devenait insurmontable. Des copains du CJD (NDLR : Centre des jeunes dirigeants) se sont relayés pendant six mois pour venir me voir dans l’entreprise. Ils m’ont donné le bout d’énergie nécessaire ainsi que la capacité à prendre des décisions que j’avais perdue. Au CJD, nous avons créé des groupes d’aide à la décision, où les entrepreneurs se soutiennent. Grâce à cela notamment, je suis capable de me dévoiler et d’accepter l’intrusion.
Avec la dépression, l’autre tabou du dirigeant, c’est le suicide. Vous y avez pensé ?
« Je ne pense pas que je serais passé à l’acte. Mais je me souviens quand même d’avoir roulé sur le périphérique à 40 km/h, en me disant que je ne voyais pas d’issue et que si un camion pouvait me percuter, cela pouvait peut-être m’arranger… On a beau être chef d’entreprise, on n’en reste pas moins des hommes, des êtres fragiles.
Comment avez-vous remonté la pente ?
« Au départ, j’étais dans le déni total. Puis, j’ai accepté d’écouter des copains qui me conseillaient d’aller voir un spécialiste. Le médecin m’a dit : vous êtes malade, vous faîtes un burn out. Cette annonce m’a quelque part rassuré, car je me suis dit : c’est un acte médical, je suis normal. J’ai pris des anti-dépresseurs pendant six mois, ce qui est finalement une durée assez courte, puisque le burn out a été traité très tôt. Après, des amis chefs d’entreprise, ainsi que ma famille, m’ont énormément soutenu. Vous savez, le burn out, vous n’en sortez pas seul. J’ai fait une thérapie, puis de la luminothérapie et du shiatsu pour retrouver de l’énergie. Aujourd’hui, deux ans après, je vais très bien, et j’ai appris que notre fragilité intérieure est aussi notre force, ce qui nous construit. Il ne faut donc surtout pas chercher à la nier.
Avez-vous changé suite à cet épisode ?
« Depuis, je fais beaucoup plus attention à moi et à ma famille. J’apprends à me préserver. Par exemple, toutes les semaines, je prévois désormais du temps pour moi, pour me faire plaisir et me ressourcer. Cela peut être de la voile, un peu de sport, etc. Je travaille aussi sur moi, j’essaie de prendre du recul. Je me dis aussi que tout le monde peut craquer, alors j’essaie d’être à l’écoute des collaborateurs et des dirigeants que je connais. Car beaucoup de dirigeants de PME passent par cette phase. Et généralement, comme moi au départ, refusent de se l’avouer.
La gouvernance de l’entreprise a t-elle aussi évolué ?
« A un moment, l’entreprise était très basée sur moi. C’était un risque que je faisais courir à tous mes collaborateurs. J’ai pris conscience de ce danger à l’époque de la grippe H1N1. Alors, j’ai commencé à structurer l’entreprise, à davantage déléguer. J’ai poursuivi ce mouvement suite au burn out.
Que conseillez-vous à un dirigeant qui fait un burn out ?
« Je pense qu’il faut être entouré, qu’on aille bien ou pas d’ailleurs. Le dirigeant est seul dans l’euphorie comme dans la difficulté. Il a besoin de ses pairs, d’un effet miroir. A lui aussi d’avoir l’humilité d’appeler un copain et de lui dire : ça ne va pas, j’ai besoin de toi. La deuxième chose à faire, c’est d’aller voir rapidement un médecin et lui demander : docteur, ai-je besoin d’un anti-dépresseur ou juste de vitamine C ? ».
C’est grave docteur ?
À la fois médecin généraliste et thérapeute spécialisé en imagerie mentale, le docteur Josée Oleron-Riolon (en photo) est de plus en plus consultée pour des questions de burn out par les dirigeants d’entreprise de la région nantaise. « Le burn out, c’est un syndrome d’épuisement professionnel qui naît de la rencontre d’une personnalité, normale, d’un travail et d’un contexte », explique le médecin. Le contexte, c’est le monde qui bouge. « Notre corps s’adapte sans cesse à ce que l’on appelle le stress, c’est-à-dire tous les éléments exterieurs, y compris émotionnels, qui nous demandent une adaptation. Quand vous freinez brutalement en voiture par exemple, vous sentez une montée d’adrénaline : votre corps réagit. Quand vous faîtes face à un stress chronique, votre corps a d’autres moyens d’adaptation », poursuit Josée Oleron-Riolon.
Par leur personnalité, les chefs d’entreprise, comme les médecins d’ailleurs, constituent une population à risque. Le burn out touche en effet des personnes autonomes, battantes, investies, qui ont un idéal de soi élevé et pour qui le travail présente beaucoup de sens. « Le stress constitue pour ces personnes un élément moteur, ils carburent à l’adrénaline. Devant un obstacle, ils redoublent d’effort ».
Sauf qu’à un moment, le corps s’épuise, il n’a plus assez d’énergie. Le sujet commence alors à être victime de troubles physiques (mal au dos, perte de sommeil, etc.), émotionnels (irritabilité, pleurs, etc.), intellectuels (sentiment de ne plus être capable de réfléchir, etc.) et comportementaux. Après un processus qui peut durer de quelques mois à quelques années, ces symptômes peuvent déboucher sur « un effondrement intérieur ». C’est le burn out à proprement parler, un terme emprunté à l’aéronautique qui veut dire « brûlé de l’intérieur ».
À ce stade, il existe « un vrai risque de suicide » et les arrêts de travail peuvent durer six mois, voire deux ans… Cette descente aux enfers « n’est pas inéluctable », assure toutefois Josée Oleron-Riolon.
Pour faire machine arrière, « la première des choses, c’est de prendre conscience de ce qui vous arrive. Généralement, c’est le plus difficile. Après, avec la personnalité des dirigeants, le reste va vite ». Le reste ? Du repos, quelques médicaments et une bonne psychothérapie. Car pour guérir et prévenir toute rechute, « il faut veiller à ses ressources intérieures, c’est-à-dire savoir prendre du temps pour soi, pour sa famille, ses amis », conseille le médecin. Une façon de dire qu’établir une relation saine avec son travail, cela se travaille.
Un dirigeant sur trois se dit stressé
Rares sont les études portant la santé des dirigeants de PME. Celle réalisée en 2011 par Malakoff Médéric, le Centre des jeunes dirigeants et l’Observatoire Amarok conclut à « un bon état psychologique » des patrons de PME français : 81 % des dirigeants sondés disent en effet ne jamais avoir ressenti de déprime, ni même de sentiment d’isolement. Les auteurs de l’étude prennent toutefois avec des pincettes ce chiffre qui tord le coup à la légendaire « solitude du dirigeant ». D’une part, parce qu’ont été exclues de l’étude les TPE de moins de trois salariés. D’autre part, parce que les auteurs de l’étude suspectent « une tendance générale à une sous déclaration de problèmes d’ordre psychologique ou physique ». Un dirigeant sur trois avoue toutefois s’être senti stressé. Principalement en raison du manque de visibilité sur ses marchés et de la surcharge de travail, un tiers des dirigeants travaillant plus de 60 heures par semaines, et plus de la moitié au moins six jours sur sept. Autre signe de faiblesse, le sommeil : un dirigeant sur deux considère son sommeil comme mauvais ou passable.
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