En cette singulière période, cruellement révélatrice des inégalités sociales de santé, tous nos regards sont tournés vers le système hospitalier comme une conjuration pour qu’il absorbe le choc.

Des initiatives affleurent pour alerter sur le sort des populations déjà vulnérables, fragiles, précaires exprimant ainsi leur désarroi face à l’étendue de l’impact de la pandémie de COVID_19 sur nos vies.

Nous sommes tous concernés par cette période d’incertitude génératrice d’anxiété car l’anxiété nait de l’incertitude. Pour autant, nous ne sommes pas tous armés et égaux pour affronter cette anxiété.

C’est le moment d’avoir un geste pour ceux situés sous les radars de la santé publique : les entrepreneurs. S’ils n’ont pas été oubliés des mesures budgétaires gouvernementales, il s’agit de ne pas oublier leur santé et leur moral à cette heure où l’activité économique est enrayée. Spécifiquement les plus « petits » d’entre eux car plus la taille de l’entreprise est petite, plus le lien avec sa santé est important. L’enjeu est de taille. A titre d’illustration, que vont devenir les 815 000 créations d’entreprise de 2019 lorsque l’on sait qu’« en temps normal », 90% des créateurs déclarent des revenus compris entre 500 et 1000€ mensuels, et que 50% d’entre eux ont cessé leur activité avant la fin de la 3ème année (source : INSEE). S’en sortiront ceux qui auront une trésorerie suffisante leur permettant sur la durée de supporter les charges et les dépenses alors que « l’argent ne rentre pas ».

Comment dénier qu’ils soient anxieux et stressés dans ce contexte d’incertitude sur leur avenir. Le principal risque du stress c’est de s’isoler, se replier sur soi. Le risque est démultiplié face à l’injonction de confinement et ses conséquences concrètes sur nos vies sociales et professionnelles.

Il sera d’autant plus difficile de relancer la machine économique du pays si sa force motrice que ce sont les entrepreneurs s’est épuisée sous les coups de boutoir de l’anxiété.

Veillons individuellement et collectivement à les accompagner, comment ?
En appelant un par un ceux situés dans notre entourage pour s’enquérir d’eux sans que ce soit un interrogatoire de gendarmerie.

Lors de cet appel, soyons vigilants à :

  1. Formuler directement l’attention qu’on lui porte, lui signifier avec des mots simples qu’on s’inquiète pour elle « je t’appelle parce que j’ai envie de prendre de tes nouvelles en cette période qui doit être
    très compliquée pour toi et ton entreprise. Je m’inquiète pour toi ».
  2. Interroger son sentiment d’insécurité « Je vois que la situation est très difficile, comment te sens-tu face à ces difficultés ? »
  3. Légitimer et ne surtout pas banaliser « La situation que tu vis est très douloureuse, c’est normal de se sentir mal »
  4. Interroger la présence de liens personnels, face à un environnement ressenti comme une menace, il est crucial d’interroger la personne sur les liens relationnels qu’elle possède.
    « Etes tu (bien) entouré ? Te sens tu (bien) entouré »
    « Es tu en contact avec ? Famille ? Ami ? Comptable ? Réseau professionnel comme association ? Syndicat ? »
  5. Valoriser ces liens
    « C’est bien que tu sois entouré, il est important que tu maintiennes des liens avec de ta famille/ton comptable/ton association/tes amis
    « C’est important de ne pas s’isoler dans cette situation, la solution viendra du collectif, de l’entraide et la solidarité. Restons ensemble. »
    « C’est bien que tu aies réussi à maintenir ce lien/ce contact, super pour ce contact et n’oublie pas de l’entretenir. Téléphoner une fois c’est bien, deux fois, c’est mieux car la notion de durée, de solidité s’installe »
  6. S’intéresser à ses conditions de vie
    « Ça va le confinement ? Comment dors-tu ? Fais tu de l’exercice physique régulièrement ?
    Te reposes-tu ? Et la gestion de ton planning et celui des enfants ? Indispensable de gérer le temps de chacun et son espace, y compris le besoin de solitude de chacun
    Est-ce que ton conjoint est en lien avec d’autres parents pour gérer les enfants. Il y a plein de ressources, idées sur internet »
    Et reformuler en valorisant
  7. Lui demander quelles sont ses sources de plaisir et de réconfort
    « Qu’est ce qui te fait plaisir en ce moment ? Où trouves-tu du réconfort »
    Ne pas hésiter à faire décrire une journée type : mais attention les petites choses qui font plaisir ne seront même pas nommées. Il faut les chercher. Exemple « lorsque je prends mon café » l’écoutant : « ah oui ! et quand tu bois ton café qu’est-ce qui te fait plaisir ? »
    Et reformuler en valorisant
  8. S’assurer qu’elle n’a pas perdu son estime d’elle-même en étant attentif aux mots qu’elle utilise pour parler d’elle
    Et face à des mots négatifs, une personne qui a du mal à se trouver des qualités, se servir de tout ce qu’elle a dit précédemment et le formuler positivement.
    S’appuyer sur la dignité humaine : l’humanité est en train d’apprendre quelque chose Nous les humains nous sommes en train d’apprendre quelque chose et d’être en face du fait que la mondialisation est vulnérable.
    Les humains sont malades mais la planète va mieux. Enfin on la laisse tranquille.

Prendre le temps de l’échange sans précipitation. Laisser des temps de silence. Les « blancs » peuvent être nécessaires pour permettre à notre interlocuteur d’élaborer ce qu’il a dire. Ce sont ces silences qui permettent d’établir le lien : je ne cherche pas à savoir, je cherche à être
là, tout simplement. Notre écoute est plus importante que nos questions.

En résumé

A dire/faireNe pas dire/ne pas faire
S’intéresser à l’autre : « Je t’appelle parce que je m’inquiète pour toi dans ce contexte »Ne pas appeler
Écouter simplement ce qu’elle a envie de dire : « de quoi as-tu envie de parler ? »La forcer à parler de ses soucis « parle moi de tes problèmes »
Reconnaitre la situation difficile : « la situation que tu vis est très douloureuse »Minimiser « y a plus malheureux »
Légitimer : « c’est normal de se sentir mal »Banaliser : « bah c’est pour tout le
monde pareil »
Valoriser : « tu fais ce que tu peux »Juger négativement
Témoigner de l’empathie et de la
compréhension : « je comprends, je te comprends »
Culpabiliser, responsabiliser « tu n’as pas prévu, tu n’avais pas pensé, c’est de ta faute, tu aurais du »
Interroger les liens : « es tu (bien)
entouré, te sens tu (bien) entouré ? »
S’intéresser à ses conditions de vie
Lui demander quelles sont ses sources de plaisir et de réconfort.
Échanger vers les bienfaits pour
l’humanité
S’assurer qu’elle maintient une estime d’elle-mêmeDévaloriser la personne, se moquer
d’elle

Signaux d’alerte

  • Les messages verbaux tels que « je vais me suicider », « bientôt vous n’aurez plus besoin de vous inquiéter »
  • Un changement de comportement : perte de d’intérêt, repli sur soi, évitement des proches, consommation, négligence corporelle
  • Expression fréquente de vertiges, maux de ventre, maux de tête, maux de dos

Idées reçues sur la souffrance et le suicide

  • Se suicider est égoïste/un choix personnel/une liberté individuelle.
    C’est la partie d’elle qui dysfonctionne que la personne veut tuer.
    Elle est sous l’emprise de la souffrance et ne vois que cette solution pour la soulager.
  • Parler de la souffrance, des idées noires, du suicide peut encourager le passage à l’acte
    Parler de la souffrance ne fait pas plus souffrir et parler de la mort ne fait pas plus mourir.
  • Les raisons de la souffrance/d’un suicide sont liées à la personne et non au travail.
    Lorsque le stress est déjà un compagnon de route quotidien, les difficultés qui s’accumulent intensifient le stress.

Conseil

Dans un espace confiné à plusieurs, il est primordial que chacune des personnes présentes dispose d’un temps dédié (un vrai temps prolongé) pour elle chaque jour qui doit être respecté par les autres et qui aura été défini préalablement lors d’une réunion de famille.

Ce peut être une activité (ou pas) à un instant précis de la journée. Cela nécessite un accord collectif et un engagement de chacun ( quel que soit son âge) au respect pour autrui pour être respecté soi.

Exemple : tous les matins/fins de matinée/midi/après-midi/soirs – je voudrais pouvoir écouter de la musique/ne rien faire/jouer sur mon téléphone – pendant 30 min – sans être dérangé.

Ressources disponibles

  • Rebond35 au 06.68.50.36.32 ou contact@rebond35.org
  • BPI
  • Site URSSAF.fr pour toutes les démarches administratives et les questions techniques des employeurs.
  • Site ameli.fr pour toutes les questions relatives à la santé
  • Site gouv.fr/info-coronavirus il est possible de s’inscrire à des notifications sur différentes thématiques notamment pour les entreprises

* Marick FEVRE est co-auteure de « la souffrance de l’entrepreneur, comprendre pour agir et prévenir le suicide » aux Éditions Hygée, responsable prévention MBA Mutuelle.
Elle a rédigé cet article en collaboration avec Yves Plu Gestalt-thérapeute, et directeur de l’école Gestalt+, et Philippe Leclair, Gestalt-thérapeute